Voyager seul, c’est permis?
4 juillet 2017
«Être seul est devenu une maladie honteuse. Pourquoi tout le monde fuit-il la solitude ? Parce qu’elle oblige à penser. De nos jours, Descartes n’écrirait plus : “Je pense donc je suis.” Il dirait : ”Je suis seul donc je pense.” Personne ne veut la solitude, car elle laisse trop de temps pour réfléchir. Or, plus on pense, plus on est intelligent, donc plus on est triste. »
– Frédéric Beigbeder
Plusieurs choses peuvent nous pousser à partir seul. On peut partir à cause d’une rupture, partir pour s’échapper de quelque chose – voire de quelqu’un -, partir pour se découvrir, partir pour profiter des quelques mois qu’on a de congé, partir parce qu’il n’y a plus rien qui nous retient ou tout simplement car on en a envie. Tout le monde a des motivations différentes pour partir. Pourtant, j’ai l’impression que le marketing du voyage en solo est un peu faussé.
C’est bien beau de ne compter que sur soi-même, de vivre de tout et de rien, d’avoir un budget serré, de se fixer des objectifs quotidiens, de voir toutes sortes de magnifiques choses et d’avoir l’ambition de vivre une expérience peu banale… Mais quand on y pense, ça ressemble un peu à son premier déménagement en appartement, non? C’est un rêve énorme que de partir à l’aventure et de découvrir l’ailleurs. Un rêve de ce type, c’est quelque chose de beau et de parfait, un point de fuite, littéralement inatteignable, et il ne faut surtout pas l’oublier. C’est une désillusion, parce qu’un voyage ne changera pas qui tu es. Ce n’est pas l’achat d’un billet d’avion qui te rendra soudainement plus heureux. C’est toi-même qui dois te motiver et te forcer à apprécier le moment.
Personnellement, ça m’a pris beaucoup de temps. Je n’avais pas réellement l’impression de profiter pleinement du moment, au début de mon aventure en Irlande. Mon esprit était toujours ailleurs. C’est parfois difficile de réaliser ce que tu vis lorsque tu es en voyage et seul. Tu n’as personne à qui le partager, personne à qui en jaser et surtout, tu n’as personne sur qui t’appuyer. C’est un sentiment valorisant aussi bien que vertigineux. J’en ai souffert grandement au début, car j’étais réellement seul à avoir cette pression sur les épaules. C’était quelque chose qui me stressait beaucoup. Un défi incroyable. Je devais trouver mes propres repères, me sentir en sécurité par moi-même, me convaincre que tout allait bien aller. J’ai eu besoin de quelques semaines pour me remonter le moral, pour me reprendre en mains. Ce fût difficile de me retrouver seul ainsi, devant l’adversité. Mais, c’est aussi la raison de mon voyage: me pousser à réussir seul.
Et si voyager seul n’était pas la révélation qu’on nous avait promis? Et si ce n’était pas l’émancipation à laquelle les gens s’attendent? Et si c’était seulement un épisode de notre vie où nous ne faisons que vivre, mais ailleurs…
Voyager seul est le truc le plus égoïste possible. On laisse derrière nos êtres chers. On délaisse notre routine quotidienne. On oublie les objets et tout l’aspect matériel de notre vie. Il ne reste plus que soi-même sur qui compter et notre sac à dos. Nous partons pour nous et personne d’autre. On devient notre seule compagnie.
C’est vraiment dans un voyage comme celui-ci, sans les influences d’autrui, que tu réalises à quel point tes gestes à l’étranger prennent une toute autre ampleur que ceux de ton quotidien. Et ce n’est qu’avec un retrait de la société, de ses routines, de ses jugements et de toutes les influences extérieures, par un pas en arrière pour mieux voir le big picture, que tu réalises à quel point tu as dévié de ta personnalité, de toi-même. T’sais, j’ai beau adoré faire le party et avoir du fun en soirées arrosées, ce n’est pas moi d’en faire 3 ou 4 par semaine. J’ai besoin d’un moment d’isolement, afin de réfléchir et de relativiser, sinon je tombe dans un cycle sans fin où je ne profite plus du moment présent. Pour d’autres, ce sera peut-être important de réaliser qu’ils doivent prendre des cours de poterie ou qu’ils devraient cuisiner plus. Pour moi, ce fut avec un retrait de mes routines – avec le voyage solo – que j’ai réalisé pleinement à quel point je me mentais à moi-même. Il faut se connaitre. Et il n’y a rien de mieux que de voyager seul pour se voir en toute honnêteté. Pas même un miroir n’en est capable.
Pourtant, je reste le Thomas que j’étais en partant. Voyager ne veut pas nécessairement dire que tout change. On reste soi-même. On évolue bien sûr, mais on ne fait qu’ajouter des qualités et des façons d’être au soi que l’on était le jour de son départ. C’est un sentiment étrange que d’être soi-même et de se reconnaître comme étant différent. Comme tel, le voyage en solo ne nous change pas. Il nous permet seulement de nous consolider. Consolider notre personnalité. Les souvenirs et les anecdotes épiques viennent en deuxième.
Je voyage pourquoi au fait? C’est bien, je coche des trucs de ma bucket list, mais…
Et si ce n’était pas que ça le voyage?
Couverture : Hélène Maillé