J’ai arrêté d’être productive pour ma santé mentale

Cet article ne se veut qu’une réflexion personnelle sur une problématique actuelle : la santé mentale. Je ne suis ni médecin ni psychologue. Si vous en ressentez le besoin, je vous invite à contacter les ressources présentées à la fin du texte.

615 millions : c’est le nombre de personnes à travers le monde qui souffriraient d’un trouble de santé mentale, selon l’Organisation mondiale de la santé. 615 millions d’individus qui se battent contre eux-mêmes quotidiennement. Au Canada, on estime que 20 % de la population en sera affectée et que seulement une personne sur trois ira chercher de l’aide professionnelle, en raison des préjugés et de la stigmatisation entourant cette condition.

Si ces chiffres vous étonnent, attendez un peu avant de réagir. Ils datent d’avant ce fameux 13 mars 2020 qui a chamboulé nos vies. En effet, la dépression, l’anxiété, l’épuisement professionnel et tout autre problématique psychologique étaient déjà bel et bien présents dans nos vies pré-COVID. Mais ça, vous le saviez sûrement déjà. Ce qui devrait vous faire écarquiller les yeux, c’est plutôt que la moitié des Canadiens estiment que leur santé mentale s’est détériorée en 2020, que le nombre de prescriptions d’antidépresseurs ait presque doublé ou encore, que le taux d’appels effectués à un organisme en prévention du suicide ait bondi de 25 %, par exemple.

De mon côté, je vous avoue que ces statistiques accablantes ne m’étonnent pas plus que ça. Je ne suis pas médecin, psychologue ou psychiatre, mais j’ai étudié les troubles de santé mentale en milieu de travail pendant deux ans. Plus précisément, auprès de journalistes couvrant des attentats de proximité. De nombreuses études avaient déjà démontré que les médecins, ambulanciers, pompiers, policiers, militaires et journalistes en zones hostiles étaient plus susceptibles de développer un trouble de stress post-traumatique ou une dépendance que l’individu moyen, en raison de leurs fonctions. Mon objectif : illustrer que les journalistes peuvent aussi être psychologiquement et/ou émotionnellement affectés par des événements traumatiques de proximité. Des événements qui, contrairement à une pandémie mondiale, ne durent qu’un certain temps et n’affectent directement qu’une poignée d’individus. Or, cinq mois après le dépôt de mon mémoire, je constate plus que jamais que les enjeux de santé mentale dépassent toutes les frontières. Qu’ils n’ont pas de couleur, d’ethnie, de religion, d’orientation sexuelle, d’état civil, d’échelle de revenus ou d’emploi spécifique.

Entre milieu d’épanouissement et source d’anxiété

Voici ce qu’entend l’OMS par une « bonne santé mentale ». Il n’est donc pas question d’une absence de maladie à proprement parler. En fait, un trouble psychologique survient lorsqu’on observe un changement de comportement, d’humeur ou de pensée chez une personne. Ce peut être causé par un dérèglement biologique, génétique, psychologique et/ou social… Ou encore, par une situation extraordinaire, comme une pandémie mondiale!

Cette même définition illustre à quel point notre état d’esprit peut avoir une incidence significative sur toutes les sphères de notre vie, notamment le travail, qui représente, d’une part, un milieu d’épanouissement et de productivité et, d’autre part, une source de stress pouvant parfois mener à un problème de santé mentale. À vrai dire, la santé mentale est souvent la principale raison d’absentéisme au travail. C’était d’ailleurs le cas bien avant le contexte actuel : pas moins d’un demi-million Canadiens s’absentaient de leur emploi toutes les semaines pour cette raison. Vous avez bien lu. Un demi-million. Toutes les semaines. Or, si le taux d’absentéisme peut justifier une baisse de productivité et de performance, ce n’est pas la seule cause. Le présentéisme a aussi son mot à dire. Le présenté-quoi? Le présentéisme, soit le fait d’être en poste sans être pleinement productif. Un phénomène qui a certainement connu une croissance avec l’imposition du télétravail, alors que la frontière entre vie personnelle et vie professionnelle ne pouvait être franchie qu’en changeant de pièce (pour les plus chanceux).

Ne me méprenez pas : je suis une fervente défenderesse du télétravail et de toutes les autres mesures à prendre pour venir à bout de cette crise. Mais j’avoue trouver désolant de constater qu’en 2021, la Loi sur la santé et la sécurité au travail ne comporte toujours aucun article abordant spécifiquement l’enjeu de la santé mentale. Certes, la Norme nationale du Canada sur la santé et la sécurité psychologiques « fournit aux employeurs un cadre exhaustif leur permettant d’analyser et d’évaluer la santé et la sécurité psychologiques en milieu de travail et d’intervenir en cas de besoin » (Samra, 2017, p.69). La plupart des entreprises offrent aussi un programme d’aide aux employés. Néanmoins, seulement une personne sur cinq y fait appel et certains de ces programmes ne comportent pas de politique spécifique sur la santé mentale ou la diminution de la stigmatisation. Ceci est d’autant plus alarmant sachant qu’un employeur sur quatre reçoit une formation pour intervenir auprès d’un employé présentant des signes de dépression et que seulement 55 % d’entre eux interviennent réellement.

Pour faire suite à cela, permettez-moi d’ouvrir une parenthèse. Toute personne a droit à de saines conditions de travail et peut décliner un emploi qui présenterait un risque pour sa santé physique ou mentale. Tout employeur a des obligations en matière de protection de la santé et de la sécurité de ses employés. Mais les effets du confinement se font sentir à tous les niveaux de la hiérarchie. Comme le dit si bien Georgia Vrakas, professeure en psychoéducation à l’Université du Québec à Trois-Rivières, dans sa lettre ouverte à La Presse, « n’oublions surtout pas que la santé mentale fait partie de la santé publique ». Les gouvernements ont donc un rôle prépondérant dans la sensibilisation, la prévention et la prise en charge des problèmes de santé mentale. Pourtant, les investissements du gouvernement canadien en santé mentale ne représentent que 7 % du budget alloué à la santé, alors qu’en Nouvelle-Zélande, en Australie et au Royaume-Uni, par exemple, ce pourcentage varie entre 10 % et 11 %, une différence énorme. Fin de la parenthèse.

Changer de discours pour mettre fin à ce tabou inutile

Je suis de ces personnes qui croient que le tabou de la santé mentale en milieu de travail n’est pas que le résultat d’un manque d’information et d’éducation. C’est aussi le fruit de multiples discours maladroits. Dans les dernières lignes, j’ai abordé la notion de « productivité ». Confession : j’ai longtemps défini ma propre valeur en fonction de mon degré d’implication dans les projets qui rythmaient mon quotidien. Je ne pouvais qualifier une journée de « bonne » si elle n’avait pas été « productive ». Mais alors que j’ai été confrontée aux aléas de la recherche d’emploi pendant une bonne partie de cette année hors de l’ordinaire, je voyais mon état d’esprit se détériorer petit à petit. Je croyais à tort que parce que j’étais sans emploi, je perdais mes journées à m’occuper de façon puérile, en attendant que le téléphone sonne. À ce moment-là, j’ai compris que la notion de productivité n’était pas exclusive à la population active. La communauté étudiante, les enfants, les personnes âgées… Tout être humain a besoin de se sentir accompli.

Peu à peu, j’ai donc arrêté d’utiliser le mot « productivité » (et tous ses dérivés). La spécialiste des mots en moi s’est rendu compte qu’il y avait tellement plus d’adjectifs auxquels se raccrocher pour définir notre quotidien. Épanouissantes, divertissantes, reposantes, vivifiantes, inspirantes, enrichissantes, dévorantes, spontanées, intellectuelles… Tous ces qualificatifs m’ont permis de concevoir autrement mes journées, de constater qu’envoyer un CV était autant important que m’exprimer par la peinture, cuisiner un bon repas ou marcher dans mon quartier et de me sentir aussi accomplie qu’après un 9 à 5.

Maintenant que j’ai un emploi stable, j’avoue avoir tendance à retourner à mes vieilles habitudes de temps à autre, mais j’ose espérer qu’un jour, nous aurons éliminé la notion de productivité de notre vocabulaire quand vient le temps de définir notre propre valeur, parce que chacun à notre façon, on est tellement plus que ça. Prenez soin de vous et de votre tête.

Crédits photos : Borjah / Nick Morrison

Ressources gratuites

• Ligne d’intervention psychosociale : 811
• Votre PAE, médecin de famille ou CISSS régional
• Service numérique de la prévention du suicide 
• Ligne Écoute Entraide : 1-855-EN-LIGNE (365-4463)
• Association canadienne pour la santé mentale : 
• Phobies Zéro (pour les personnes souffrant de troubles anxieux incluant le trouble obsessionnel compulsif) : 1-866-922-0002
• Revivre (pour les personnes vivant avec des troubles dépressifs, anxieux et bipolaires) : 1-866-REVIVRE (738-4873)

Sources

Agence QMI (2020). COVID-19 : La santé mentale des Québécois continue à se détériorer, Le Journal de Québec.

Azzi, M. (2020). Parlons franchement de la santé mentale au travail, Organisation internationale du travail.

Centre d’étude et de recherche en santé mentale et travail. (2020). Santé mentale et travail — Acteurs, intervention et outils, Centre d’étude et de recherche en santé mentale et travail.

Commission de la santé mentale du Canada. (2020). Santé mentale en milieu de travail, Commission de la santé mentale du Canada.

Corriveau, J. (2021). Un autre coup dur pour la santé mentale des Québécois, Le Devoir.

Deloitte (2020). Découvrir la partie cachée de l’iceberg — Pourquoi les conséquences humaines de la COVID-19 pourraient créer une troisième crise, Deloitte.

Despatie, A. (2020). La santé mentale dans l’angle mort de la pandémie, ICI Radio-Canada.

Dionne, M., Roberge, M., Brousseau-Paradis, C., Dubé, E., Hamel, D., Rochette, L., Tessier, M. (2020). Pandémie, bien-être émotionnel et santé mentale — Résultats du 3 décembre 2020, Institut national de la santé publique.

Howatt, B., Bradley, L., Adams, J., Mahajan, S. et Kennedy, S. (2018). Comprendre la santé mentale, la maladie mentale et leur incidence en milieu de travail (32 pages). Commission de la santé mentale du Canada.

Letarte, M. (2020). Attention à la santé mentale de vos employés… et à la vôtre!, Revue Gestion, HEC Montréal.

OMS (2019). La santé mentale au travail. Organisation mondiale de la santé.

Samra, J. (2017). L’évolution de la santé mentale en milieu de travail au Canada : Rapport de recherche (2007-2017), Rapport de recherche, Université de Fredericton.

Statistiques Canada (2020). La santé mentale des Canadiens durant la pandémie de COVID-19, Statistiques Canada.

Vrakas, G. (2020). La santé mentale au temps du coronavirus, La Presse.