Si j’étais un homme
8 mars 2018
Va savoir pourquoi, je n’avais pas envie d’écrire de beaux mots aujourd’hui. J’avais envie de te dire la vérité. Une vérité crue et laide. Tellement laide qu’elle te rendra peut-être malade et te donnera la soudaine envie d’arrêter de me lire, voire de frapper ton écran. Une pulsion de mort plus tard, je te dis ce qui se passe dans ma tête. Je suis une femme — du moins, d’après mon certificat de naissance et, disons-le, mon anatomie conforme à celle présentée dans tes livres de biologie du secondaire.
Je suis une femme… mais je ne suis pas féministe.
Attends un peu avant de me donner une claque su’a gueule. À ce stade-ci, la vérité ne goûte que l’amertume, mais elle devient crue et laide quand je t’avoue que je ne suis pas féministe parce que ce mot éveille en moi un sentiment confus entre l’incompréhension et l’absurdité à chaque fois qu’on le siffle à mes oreilles. Pire encore, je me dis parfois qu’être un homme, c’est de la petite bière comparée à ce à quoi sont confrontées certaines femmes dans des mondes gouvernés par la testostérone.
Je me questionne. Le doute s’est emparé de mon esprit et je me suis mise à songer à la question. Et si j’étais née homme, que ce soit ici ou ailleurs?
Si j’étais un homme, je pourrais faire mes besoins n’importe où et personne ne dirait rien, parce que c’est cool, un homme qui fait des dessins avec son urine dans la neige. Une fille, ça a besoin de papier de toilette, d’un siège, de purell pour ne pas toucher ce qui a croisé les mains de milliers d’inconnus et parfois même de tampons (suis-je trop explicite pour tes yeux chastes?). Un gars, ça se contente d’un arbre.
Si j’étais un homme, j’aurais probablement un salaire plus élevé que mes collègues de sexe féminin, alors qu’elles accomplissent les mêmes tâches et possèdent les mêmes compétences que moi.
Si j’étais un homme et que je n’avais pas d’enfant, ce ne serait pas grave. Une femme sans enfants par contre, ça ressemble davantage à un échec.
Si j’étais un homme, peu importe mon quotient intellectuel, je pourrais me présenter aux élections et j’obtiendrais probablement plus de votes que certaines adversaires, simplement à cause de mon sexe (et non de mes idées politiques…).
Si j’étais un homme, on n’excuserait pas mes sautes d’humeur à coups de Coudonc, t’es-tu menstruée?!, parce que la testostérone ne justifie pas des comportements, mais l’œstrogène, oui.
Si j’étais un homme, je ne me ferais pas huer et traiter de catin si j’osais avoir des fantasmes sexuels avant d’avoir mon permis de conduire. Au contraire, je recevrais un high five pour avoir perdu ma virginité en même temps que l’arrivée de ma puberté.
Si j’étais un homme, je n’aurais pas à me soucier des moyens de contraception, parce que tout le monde sait que c’est la responsabilité de celle qui portera l’enfant. Après tout, ce serait à elle de gérer son utérus comme du monde.
Si j’étais un homme, je ne dilapiderais pas ma paie en frais de taxi, parce que l’idée que je rentre tout seul tard le soir ne tourmenterait pas ma petite maman, qui n’aurait pas à s’imaginer l’homme crapuleux assis au fond de l’autobus, me zieutant, une main là où tu penses.
Si j’étais un homme, je ne devrais pas arrêter l’école à 12 ans, parce que du sang coule de mon entrejambe une fois par mois.
Si j’étais un homme, je ne me ferais pas tirer dessus, ou lancer des pierres (oui, des vraies pierres), parce que je veux défendre mon droit d’avoir accès à une éducation digne de ce nom.
Si j’étais un homme, je ne me ferais pas exciser contre mon gré, avec des instruments insalubres, et on n’aurait pas à entendre des cris de douleur qui m’écorchent l’âme autant que l’on déchire mon corps, afin que je m’abstienne de ressentir tout plaisir charnel pour le reste de ma vie.
Mais si j’étais un homme…
Si j’étais un homme, je devrais probablement me résigner à un maigre cinq semaines de congé de paternité, alors que ma compagne aurait sûrement près de 18 mois aux côtés de notre enfant. Parce qu’un père, ça doit être fort. Ça doit travailler. Ça doit ramener des sous à la maison et mettre du pain sur la table. Pas s’occuper de la marmaille ou du souper. Ce n’est pas sexy, un père au foyer.
Si j’étais un homme homosexuel, je ne pourrais pas envisager une vie de famille, car on me dirait que c’est contre nature pour un enfant d’avoir deux pères, que deux hommes seraient inaptes à élever un enfant, alors que certains couples non homoparentaux ne devraient tout simplement pas avoir le droit de se reproduire.
Via Giphy[/caption]
Si j’étais un homme, je n’aurais pas le droit d’exposer mes émotions. Que ce soit à cause d’une coupure d’enveloppe ou de la rupture d’un ligament, un homme, ça ne pleure pas. Un homme, c’est fort. Sinon, c’est qu’il n’a pas de couille… et alors, ce n’est pas un homme.
Si j’étais un homme, je ne pourrais pas demander de l’aide à un organisme pour victimes de violence conjugale, parce qu’un homme réprimandé par sa femme est tout simplement soumis par faiblesse.
Si j’étais un homme, je devrais laisser la garde de mes enfants à mon ex-femme, même si c’est une cr*ss de folle, parce qu’apparemment, on peut grandir sans un père, mais pas sans une mère.
Si j’étais un homme, je serais quand même l’esclave du jugement des autres, parce que la pression d’être beau, intelligent, viril, drôle… la pression d’être un gars, ça existe aussi.
Et là, plus j’y pense, plus je me rends compte que ce n’est pas l’idée d’être un homme qui fera tomber les barrières de l’injustice. Au contraire, écrire ces lignes n’a fait que confirmer mon sentiment anticonformiste face au fait d’être une femme, sans être féministe. Je m’explique : évidemment que la condition féminine m’importe; or, les doubles standards — ces bébittes qui font qu’on traite une personne différemment à cause de son sexe — touchent tout le monde. Femme, homme, femme-devenue-homme, homme-devenu-femme et tous les autres qui ont oscillé entre les deux genres pour finalement se définir par autre chose qu’une simple différence anatomique. Et elle réside là, la lutte pour l’égalité des sexes : l’abolition des doubles standards, qu’ils soient féminins, masculins ou autres. Non pas dans un mot qui, même étymologiquement, ne prend en considération que la femme, omettant les rouages auxquels est confronté 50 % de la planète. Je crois en l’Homme avec un grand H, en l’espèce humaine et l’atteinte d’une égalité pour tous avec autre chose qu’un mot envoyant un message univoque. Voilà pourquoi je suis humaniste, et non féministe.
Couverture : à partir de YouTube, vidéo Tous les mêmes — Stromae