La fois où je n’ai pu renier mes racines
6 mars 2017
Sherbrooke – Mardi 10 novembre, 8h20
Une sonnerie me réveille. Pensant que c’est le cadran qui se joue de ma patience, je tente de l’éteindre. Rien à faire; la musique ne s’arrête pas. Papa m’attend à l’autre bout du fil : « Hélène, Grand-mère est décédée ce matin. »
Montréal – Mercredi 11 novembre, 16h25
J’arrive à l’aéroport, accompagnée de mon père et de mon frère aîné. L’avion décollera vers 19h25. Ma mère se trouve déjà sur place.
Paris – Jeudi 12 novembre, 7h50
Épuisée. Mon état ne peut se résumer qu’à cela. Je n’ai pas fermé l’oeil de tout le trajet. Je me console en me disant que je pourrais faire une sieste durant les 498 kilomètres qui séparent Paris de Lyon. Résultat : moins d’une heure de sommeil, après 36 heures d’insomnie.
Lyon – Jeudi 12 novembre, 15h
J’arrive enfin aux portes de mon lit, qui m’accueille à bras ouverts. Or, Maman intercepte mon espoir d’aller réconforter ce meuble tant apprécié : «Tu serais due pour une petite coupe de cheveux…». Je me dirige vers le salon de coiffure au coin de la rue, tentant de me convaincre que ça ne me fera pas de mal d’avoir un petit massage du cuir chevelu, même si mon lit me guette. Je sors du salon avec la même coupe de cheveux (ils sont seulement plus courts et plus propres) et évidemment, quelques dizaines d’euros en moins dans le portefeuille.
Lyon – Vendredi 13 novembre, toute la journée
Je pose mon regard sur Maman et lui dit : «Quand même, on aurait pu choisir une autre journée que le vendredi 13 pour des funérailles…». J’ai tout de même réussi à esquisser un sourire sur son visage. «C’est vrai que j’ai une drôle de sensation, maintenant que je m’en rends compte», m’a-t-elle confirmé.
La journée se passe sans embûches, jusqu’à 22h40, heure à laquelle mon téléphone sonne de nouveau. Attablés à un petit restaurant, autour d’un bon repas et d’une bouteille de vin, nous apprenons, à l’autre bout du fil, la tragédie. 18 morts dans des attaques à Paris. Puis, une soixantaine en l’espace de quelques minutes. Ce n’était que le début d’une escalade meurtrière où la France finirait par ressortir en guerre, suite à la mort prématurée de 129 âmes innocentes… Décidément, mon cellulaire ne me sert qu’à m’annoncer des mauvaises nouvelles!
Sherbrooke – Jeudi 19 novembre
C’est sans prétention que j’ai décidé d’écrire ces lignes près d’une semaine après les attentats, histoire de laisser retomber la poussière. Sauf que la poussière n’est jamais vraiment retombée. Une semaine après les évènements, je me sens tout autant déprimée, dégoûtée, confuse, frustrée et j’en passe. Mais je n’ai pas peur. Comme des millions de français, je refuse de m’abaisser aux volontés des djihadistes.
En fait, je n’ai jamais autant partagé mes pensées sur les réseaux sociaux que le soir des attentats. Chaque mot entré était, pour moi, une réponse à chaque balle qu’ils ont tirée, à chaque âme qu’ils ont enlevée. Parce que même si je n’étais pas à Paris même, je me suis sentie mitraillée. Je ne peux qu’imaginer la peine avec laquelle toutes les familles des victimes doivent valser en ce moment et j’ai mal pour elles.
Mais j’ai aussi mal pour le Liban et ses habitants, à qui on ne donne guère d’attention médiatique, les laissant seuls dans leur misère. J’ai aussi mal pour la Syrie et l’Irak, qui se voient jugées par le reste du monde, à cause d’une portion minime de personnes qui pensent avoir la réponse à tout. J’ai aussi mal pour le Niger, qui doit composer chaque jour avec le groupe terroriste le plus violent, Boko Haram (dois-je vous rappeler qu’ils utilisent des fillettes de 9 ans comme kamikazes?!). J’ai aussi mal pour la communauté musulmane qui se voit ostracisée, parce qu’on a tendance à tous les mettre dans le même panier, alors que nous savons pertinement que c’est une religion de paix et d’amour. Et enfin, j’ai surtout mal pour le monde vers lequel on s’en va.
Ces réflexions reposent notamment sur la parution d’une pétition afin de refuser 25 000 réfugiés syriens en sol canadien. Je pense que cette publication m’a autant abasourdie que les attentats en soi. Je suis en colère contre les terroristes, bien évidemment, mais aussi contre vous, les canadiens qui refusez de venir en aide à ces 25 000 pauvres personnes qui ne désirent que mener une vie normale. À mon humble avis, peu importe l’argumentation, les personnes qui pensent ainsi ne devraient pas se sentir menacées, mais plutôt complètement idiotes. Je suis consciente que ce n’est pas réaliste d’accueillir 25 000 réfugiés d’ici janvier. Or, fermer nos frontières représente, selon moi, une preuve d’égoïsme profond.
Il faut comprendre que l’État Islamique est un bourreau sans religion, sans ethnie, sans couleur, sans sexe et sans visage. Ces imposteurs tuent au nom de l’Islam, alors qu’ils ne semblent pas avoir compris un piètre mot du Coran. Leur Dieu, ce n’est pas Allah, c’est la mort. Ils enlèvent nos vies, parce qu’ils ne peuvent atteindre nos valeurs et nos principes. Et nos vies valent plus que la leur, si bien qu’ils sont prêts à se suicider et nous amener avec eux dans leur enfer.
Vendredi dernier, c’est donc une partie de mon pays, de ma patrie, de ma famille et même de moi, qui est partie. J’avais et j’ai toujours l’âme en peine et le coeur en berne. Ils ont gaché ce qui devait être pour moi le dernier hommage que je pouvais rendre à ma grand-mère et pour ça, je ne pourrais jamais leur pardonner. La France est en guerre et moi aussi. J’ai été Charlie, Paris, Beirut et tous les autres. Aujourd’hui, je suis tannée! Car oui, je pense aux 129 victimes de vendredi, mais aussi aux milliers d’autres potentielles si on ne réagit pas assez rapidement. On ne peut plus rester passifs devant l’horreur du monde. Pour paraphraser Charles De Gaulle : Vive la France libre!
Aux djihadistes, je n’ai qu’une chose à dire : vous ne méritez point que je vous donne d’attention ou que j’aie de sentiments à votre égard. Je n’ai aucune compassion évidemment, mais aucune haine non plus. Simplement de la pitié pour vous qui êtes tombés dans le panneau. Et en guise de réponse aux évènements de vendredi, je me fais un devoir de vivre heureuse et libre, heureuse d’être libre et libre d’être heureuse!
Couverture: Hélène Maillé